Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/404

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panneau d’André Roublef, cet artiste du quinzième siècle, dont les œuvres étaient données en modèle par les manuels iconographiques de l’Église moscovite. Près de l’oratoire consacré aux saintes icônes s’ouvrait une longue galerie de toiles profanes. Il y avait là des paysages et des marines, des tableaux de genre et des tableaux d’histoire. Tout ce qui séduit l’art moderne, jusqu’aux souvenirs mythologiques et aux nudités païennes, avait sa place dans le musée de ce disciple des fanatiques adversaires de l’Europe et de Pierre le Grand. Un seul trait dénotait le Vieux Russe, toujours vivant au fond du vieux-croyant : ces toiles si variées étaient toutes d’un pinceau russe. C’était là une galerie nationale, et nulle part, pas même peut-être dans les collections publiques de Pétersbourg ou de Moscou, on ne pouvait mieux étudier l’école russe contemporaine.

Tels sont aujourd’hui ces riches vieux-croyants, en cela du reste semblables à plus d’un opulent marchand de Moscou : ils ont le luxe, ils ont le superflu de notre civilisation, sans toujours en avoir le fond, l’essentiel. Pour que, chez de telles familles, l’ « ancienne foi » oppose au progrès un obstacle insurmontable, il faudrait qu’elle les isolât dans un monde fermé. Ces hommes que la fortune a conduits au seuil de la culture resteront-ils dans le raskol ? Peut-être les fils de ces marchands, qui, à chaque génération, se dépouillent de quelques-uns des préjugés de leurs pères, sortiront-ils du schisme, en sortant de l’étroit cercle d’idées où le schisme est né. Il y a déjà eu des exemples de semblables conversions. Peut-être les vieux-ritualistes arrivés à la civilisation sauront-ils renoncer aux coutumes et aux préventions du raskol, sans renier le culte de leurs ancêtres. Ce ne serait pas la première fois que les fidèles d’une religion changeraient de mœurs et de manière de voir sans changer de religion. Au scandale des bonnes âmes de province, on voit déjà de jeunes vieux-croyants de Moscou se permettre de fumer, de se raser, de danser, d’aller au théâtre. La fortune, qui, pour le