Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/417

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on construisit des hôpitaux, des monastères, des églises, des bâtiments de toute sorte. À l’ombre de la demeure des morts et de l’asile ouvert aux malades se cachèrent les retraites des chefs du schisme et les agissements de ses meneurs. Autour des cimetières ou dans les quartiers voisins se groupèrent des maisons et des ateliers de raskolniks. Le culte proscrit eut ainsi, aux portes mêmes de la vieille capitale, sa ville et sa citadelle, on pourrait presque dire son Kremlin. Les fondateurs des cimetières obtinrent du gouvernement une sorte de charte leur laissant la libre administration de leurs fondations. Rogojski et Préobrajenski, la popovstchine et la bezpopovstchine, eurent un comité de direction, un gouvernement indépendant ; elles eurent leur caisse et leur sceau, leurs statuts approuvés de l’autorité, partant une position reconnue dans l’État. L’argent des vieux-croyants et la corruption du tchinovnisme firent le reste.

Les cimetières eurent de tous côtés des communautés affiliées ; leur conseil d’administration devint un synode dont les injonctions furent obéies d’un bout à l’autre de l’empire. De toutes les parties de la Russie, l’argent afflua aux deux établissements moscovites. Grâce aux dons ou aux legs des marchands dissidents, des richesses considérables s’amassèrent rapidement derrière ces murailles. Ce ne fut point tout ; le génie pratique, mercantile du raskol, le côté positif du caractère russe se montra là, comme partout dans le schisme. Les cimetières furent des centres d’affaires en même temps que des centres religieux ; ils furent à la fois un couvent, un séminaire et une sorte de chambre de commerce, un consistoire et une bourse. Les deux hospices ou les quartiers voisins offraient un refuge aux sectaires poursuivis, aux soldats déserteurs, aux vagabonds pourvus de faux passeports ; parmi ces outlaws, les riches meneurs du schisme trouvaient des ouvriers au rabais et d’aveugles instruments.

Une pareille puissance, élevée peu à peu dans l’ombre,