Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/492

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de quelques khlysty ; de l’autre, le célibat obligatoire de plusieurs « sans-mariage » et la mutilation des blanches-colombes. Dans leur aversion pour « l’œuvre de chair » les skoptsy se rapprochent de certains bezpopovtsy. Ce point de contact n’est pas le seul. Entre ces fanatiques, en apparence isolés, et les vieux-croyants du raskol, il n’est pas impossible de trouver plus d’un trait de ressemblance et, jusqu’en des aberrations divergentes, des tendances analogues. C’est d’abord le caractère russe qui, chez le skopets, comme chez le théodosien ou l’errant, se montre enclin à pousser les idées jusqu’au bout, ne reculant devant aucune extrémité. C’est ensuite, jusque chez ces mystiques qui en semblent le plus éloignés, le vieux réalisme moscovite, qui s’insinue dans l’illuminisme même, matérialisant l’ascétisme, attachant le salut à une opération de chirurgie. C’est encore le culte de la lettre, l’amour du sens littéral, c’est-à-dire la chose qui, d’habitude, répugne le plus au mystique. Les skoptsy invoquent dans l’Évangile un texte plus facile à citer en latin qu’en français[1]. Le Christ a dit : « Si ton œil droit te scandalise, arrache-le et jette-le, et si ta main droite te scandalise, coupe ta main et jette-la ». Ce conseil, les nouveaux origénistes l’érigent en précepte, avec le même aveuglement que les raskolniks, d’autres textes non moins malaisés à entendre à la lettre. Ces versets, par lesquels ils justifient la plus bizarre de leurs coutumes, ne sont pas les seuls que les skoptsy prennent au sens littéral ; ils en font autant des prophètes et de l’Apocalypse, de Daniel et de saint Jean.

Ce n’est point d’ordinaire sur les jeunes enfants que les skoptsy pratiquent leur rite fondamental ; c’est le plus souvent sur des hommes faits, alors que le sacrifice est le plus dur et l’opération le plus dangereuse. Cette san-

  1. « Sunt enim eunuchi qui de matris utero sic nati sunt et sunt eunuchi qui facti sunt ab hominibus, et sunt eunuchi qui seipsos castraverunt propter regnum cœlorum : qui potest capere capiat. » (Vulgate, Matth., xix, 12.)