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ces Causeries du Lundi qu’on avait lues ensemble, rue Euler, à Bâle, au coin du feu[1].

L’estime de Nietzsche pour les moralistes français croissait à mesure que son intimité avec eux se faisait plus entière. Cette force de caractère, cette indépendance de volonté unies en eux à la connaissance des hommes, et qu’on retrouvait en tous, de Montaigne à Stendhal, lui imposait. Il désignait nommément Montaigne, La Rochefoucauld, Pascal, Chamfort, Stendhal, quand il déclarait les Français une nation plus attentive à se « nettoyer l’esprit », à ne pas se mentir à elle-même, plus exempte de tout « daltonisme » idéaliste [2]. On va essayer ici de décrire la cure d’âme et d’intelligence qu’il a faite auprès d’eux.

  1. C’est le recueil publié anonymement sous le titre de Menschen des XVIII. Jahrhunderts. Chemnitz, chez E. Schmeitzner. 1880. Ce sont des articles de Sainte-Beuve sur Fontenelle, Montesquieu, les lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey, Mme du Châtelet, Mme de Latour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Vauvenargues, les lettres de Mlle de Lespinasse, Beaumarchais; en tout onze articles ou fragments d’articles empruntés passim aux Recueils de Sainte-Beuve. On souhaiterait que Nietzsche eût connu le livre de Prévost-Paradol sur Les Moralistes français, dont le succès datait de 1864. Montaigne, La Boétie. Pascal, La Rochefoucauld, La Bruyère, Vauvenargues, y ont chacun son monument. Il y a des chapitres de l’Ambition, de la Tristesse, de la Maladie et de la Mort, bien dignes d’inspirer le psychologue de la volonté d’être fort aux heures de son martyre. Rien ne nous autorise pour le présent à conjecturer cette influence.
  2. Nietzsche, W., XIII, 110; XIV, 180.