Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/178

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I. — Le premier, Pascal lui suggère sa méthode d’exposition et de composition : « J’écrirai mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein : c’est le véritable ordre[1]. » Nietzsche partira de là pour justifier sa méthode de l’aphorisme, des brusques coups de sondes, qui font jaillir la pensée fraîche et vive mieux que les longues et savantes canalisations où l’enferment les systèmes. Ce serait, disait Pascal, « une manière d’écrire toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie ». Ainsi Nietzsche voulait appuyer ses déductions sur les sujets de la plus extrême banalité, par mépris de l’érudition, et parce qu’une philosophie créatrice doit renouveler l’appréciation même des choses quotidiennes. Pascal aussi était de ceux qui savent que « les sciences ont deux extrémités qui se touchent : la première est la pure ignorance naturelle. L’autre extrémité est celle où arrivent de grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien »[2]. Gœthe, un jour, au début du premier Faust, lui avait emprunté cette mélancolique profession de foi ; et à son tour Nietzsche, comme Pascal, s’est proposé d’écrire « contre ceux qui approfondissent trop les sciences ».

Dans ce scepticisme qui ébranle tout pour édifier la croyance nouvelle, c’est la dialectique pascalienne surtout qui sera son modèle. Nietzsche procédera, lui aussi, par « renversement continuel du pour au contre ». Pascal montre 1o  « que l’homme est vain par l’estime qu’il fait des choses qui ne sont point essentielles », et il détruit ainsi l’opinion vulgaire ; 2o  Il montre que « les opinions du peuple sont très saines », et il détruit ainsi

  1. Pascal, Pensées, Ed. Havet, V, I.
  2. Pensées, III. 18.