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même à la mort, on l’aime »[1]. Or, la gloire n’est pas autre chose que dominer dans l’opinion des hommes. La société, pour Pascal, est cimentée de force réelle et d’un ascendant immatériel exercé sur l’opinion, qui, à son tour, met en mouvement des forces[2]. Il a essayé de se représenter comment naissent les lois et les institutions par un équilibre instable d’énergies mouvantes. « Il n’y a pas de bornes dans les choses. Les lois y en veulent mettre et l’esprit ne peut le souffrir[3]. » Jamais esprit n’a plané plus librement que Pascal au-dessus du respect dû aux grands et aux institutions établies. Nietzsche le suivra dans cette analyse irrespectueuse des choses respectables, qui aboutit à restaurer une estime raisonnée de ces mêmes choses, non plus respectées, mais jugées nécessaires.

Au fond de nous, tout est donc instinct combatif et besoin de tyrannie. « Rien ne nous plaît que le combat », même par jeu, même dans les passions, même dans la recherche de la vérité[4] ; mais en chaque rencontre, c’est une bataille a à qui sera le maitre de l’autre », brutalement, définitivement. « Tous les hommes veulent dominer », et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant, par la force qui est « maîtresse des actions extérieures », on voit « que les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres sont des cordes de nécessité ». — « Tout commence par la contrainte », dira de même Nietzsche[5]. L’obéissance est contrainte, condition d’existence et enfin joie de vivre. Celui qui a le plus de force pour réduire autrui à ce rôle de simple fonction est le maître. Mais les vaincus font à leur tour des opprimés.

  1. Pensées, II, 1
  2. Attention : Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Ibid., XXIV, 91 : « La force est la reine du monde et non pas l’opinion ; mais l’opinion est celle qui use de la force. »
  3. Ibid., VI, 1.
  4. Ibid., VI, 31.
  5. Nachlass, 1882-1888, XIII, 324 (§ 787) ; Fröhliche Wissenschaft, posthume, § 208 (XII, 103).