Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/191

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donc revenir à la croyance populaire pour des raisons qui échappent au peuple. Une préoccupation toute pareille s’accuse chez Nietzsche, quand il écrira le Voyageur et son Ombre. L’hypothèse s’offrira à lui de considérer le droit comme réductible à un équilibre de puissances qui pactisent après avoir lutté[1]. Avec un sens historique plus aiguisé, Nietzsche essaiera de décrire les moyens épouvantables qui ont permis d’assurer la paix sociale par la terreur physique, et de la consolider par la torture de l’âme, par toutes les formes de respect chimérique, dont la dernière et la plus oppressive nous tyrannise sous le nom de l’obligation morale et du remords. Au terme seulement, il verra surgir une morale intellectualiste dédaigneuse de ces mobiles illusoires, mais il se rendra compte aussi que l’humanité n’a pu obéir qu’à ces mobiles, qui du moins lui épargnaient la pure discipline de la force brute[2].

Pascal encore avait eu peur de cet examen qui « sonde jusque dans leur source » les lois et les croyances. « Qui voudra en examiner le motif, le trouvera si faible », pensait-il, « que c’est un jeu sûr pour tout perdre »[3], et pour encourager toute révolte. Nietzsche tirera au clair ces origines, fût-ce en ruinant la morale et l’État, parce qu’il est peu courageux de fermer les yeux sur la vérité et peu noble de couvrir les usurpations grossières. Il a foi dans la nature, pour conserver les œuvres de la raison qu’elle a elle-même enfantée.

III. — De sa doctrine si neuve au sujet de la connaissance et de la morale, Pascal avait tiré un enseignement

  1. Der Wanderer und sein Schatten ; § 22. 26 (III, 213, 217).
  2. Ibid., § 44 (III, 227).
  3. Pensées, III, 8.