Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/212

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Quand nous découvrons le peu d’importance de ce qui nous occupe et de ce qui nous touche, nous arrachons à la nature son secret[1].

Le secret de la nature, c’est que ni l’humanité, ni aucun des individus qui la composent, n’y tiennent une grande place. Cette notion, selon Fontenelle, est de nature à nous emplir d’une tristesse à jamais décourageante. Bien avant les Entretiens sur la Pluralité des mondes habités, Fontenelle se place à ce point de vue copernicien, qui a inspiré aux hommes une sagesse pleine de modestie, mais très amère. Comme chez tous les grands écrivains du xviie siècle, la philosophie qu’il y puise ressemble à un renouveau du renoncement chrétien.

De telles secousses morales, qui résultent d’un changement profond dans les notions de la physique générale et dans la théorie de la connaissance, émeuvent douloureusement les âmes d’élite. Kleist n’a-t-il pas reçu du système de Kant une commotion désespérée ? Nietzsche sentira une telle commotion en découvrant la vanité de toute philosophie conceptualiste. Si toutes les notions abstraites ne sont que des métaphores pâlies et desséchées qui, même comme exactitude, ne valent pas les images colorées que se forment des choses les peuples artistes ; si ces notions abstraites enveloppées dans des mots ne traduisent que des besoins matériels, dont elles sont les servantes et qu’elles guident tristement, les idéals les plus purs cachent encore des intentions basses. La première sincérité du psychologue consistera donc à dépister ces mensonges cachés. Nietzsche a appris des Français à être ce psychologue d’une sincérité héroïque.

2o Or en nous demandant ce qui fait la tristesse de notre clairvoyance, nous lui découvrons une seconde

  1. Parménisque, Dialogue avec Théocrite, p. 82.