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Milton obligés de se faire pygmées pour entrer dans le Pandémonium »[1], il croit décrire l’esprit grégaire moderne. Il a présente à la pensée l’image de la cour de Louis XV et de Louis XVI. Cette localisation dans le temps étant faite, Nietzsche acceptera le verdict de Chamfort. Il ne dira pas que les hommes sont petits parce qu’ils vivent en troupeau, mais que l’espèce entière rapetisse, chefs et troupeau. Rien de plus neuf que la théorie de la « décadence », par laquelle Nietzsche explique que puisse se préparer la race naine et douillette des « derniers hommes »[2], l’humanité de demain. Encore Nietzsche, après les plus cinglantes critiques sur la race moutonnière des modernes, justifiera-t-il cette sélection à rebours qui, au lieu de faire surgir les élites, grossit la foule des exemplaires moyens, innombrables et interchangeables.

Le rapetissement des hommes devra longtemps passer pour la fin unique, parce qu’il faut d’abord poser de larges fondations, afin d’y placer une race d’hommes plus vigoureux[3].

Après quoi la charpente principale de la théorie de Chamfort, son opinion sur le rôle des institutions, se retrouvera intacte dans Nietzsche jusque dans ses derniers ouvrages.

La ressemblance entre eux va jusqu’à la parfaite identité, quand il s’agit d’expliquer pourquoi les sociétés humaines travaillent au nivellement des multitudes.

La plupart des institutions sociales, dit Chamfort, paraissent avoir pour objet de maintenir l’homme dans une médiocrité d’idées et de sentiments qui le rendent plus propre à gouverner et à être gouverné[4].

Ce n’est qu’un aperçu chez Chamfort ; Nietzsche édifiera un système pour en apporter la preuve, il fera la psycho-

  1. Maximes et Pensées, p. 285.
  2. Zarathustra, Vorrede, § 5. (W., VI, 19-21.)
  3. Wille zur Macht, § 890. (W., XVI, 302.)
  4. Maximes et Pensées, p. 339.