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de guerres se forment des âmes pleines de haine, défiantes et lucides, indomptables dans la passion. Dans les courtes accalmies du danger, elles sont tout à la sensation, à la volupté présente ; et, nation moins grossière, moins adoratrice de la force physique, moins féodale que les autres Occidentaux, les Italiens font aux femmes, dans toute la vie sociale de la Renaissance, une place qu’elles n’ont retrouvée dans aucune société à ce degré. L’existence entière en revêtait un romanesque tendre et impétueux dont Stendhal ne se lassait pas de rêver. Il en tirait des observations si précieuses pour la liberté de l’esprit, qu’il avait recueilli deux volumes in-folio d’anecdotes passionnées comme celles qu’il a publiées dans ses chroniques italiennes.

Il n’y a pas d’admiration stendhalienne que Nietzsche ait davantage partagée. Les mœurs du pape Alexandre VI ne le scandalisaient pas. S’il s’amuse à l’idée que César Borgia, parricide et incestueux, ait pu être désigné pour la tiare, il ne trouve pas déplacée son ambition de devenir roi d’Italie, et il l’a toujours, comme héros, préféré à Parsifal[1].

D’une si vigoureuse floraison d’humanité, comment ne resterait-il rien ? Non seulement, au sud du Tibre, Stendhal a trouvé « l’énergie et le bonheur des sauvages », mais il juge que, de tous les peuples modernes, les Italiens sont celui qui ressemble le plus aux Anciens. Très étrangers au faux honneur, dédaigneux des monarchies, des conventions mondaines introduites par Louis XIV, ils ont gardé intactes la simplicité et la force de caractère. Insoucieux du voisin, chacun, dans ce pays resté antique, suit sa passion farouche et solitaire, ou rayonnante et sociable. Chez les tempéraments les mieux équilibrés, comme à Milan, le

  1. Nietzsche, Ecce Homo, Warum ich so gule Bücher schreibe, § 4. (W., XV, 52.)