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hommes du XIVe. Au XIVe siècle encore, en un temps de vigueur et de force, les Français n’étaient pas des poupées. « Leur vie n’était pas emprisonnée, comme une momie d’Égypte, sous une enveloppe toujours commune à tous, toujours la même[1]. »

La pacification monarchique, en chassant l’imprévu hasardeux et redoutable, a détrempé la vigueur morale. Une éducation conventionnelle a ôté à tous les jeunes Français le courage d’oser et de souffrir pour une cause choisie par leur cœur. Ils auront de la bonté et une bravoure brillante. Rien ne les rendra tristes. Ils iront jusqu’au bout du monde, si on les y mène, mais ils ne savent marcher qu’en troupe. L’idée seule d’une aventure singulière les fait pâlir :

Beaucoup de nos jeunes gens, si brades d’ailleurs, à Montmirail…, ont peur d’aimer…[2]

Dans une société vieillie, qui ne prise que les convenances, toutes les âmes sont froides :

Ce qui frappe surtout, lorsqu’on revient de Rome à Paris, c’est l’extrême politesse et les yeux éteints de toutes les personnes qu’on rencontre[3].

Les femmes, moins aimées, y sont aussi moins puissantes. Pour trouver de l’amour à Paris, il faut descendre jusqu’aux classes où la lutte avec les vrais besoins a laissé plus d’énergie. Pour trouver de la force de caractère, il faut en chercher parmi les galériens[4]. Dans les classes hautes et moyennes, la sécurité, la politesse et la civilisation élèvent tous les hommes à la médiocrité, mais gâtent

  1. De L’Amour, p. 126. — Le Rouge et le Noir, II, pp. 54, 78.
  2. Promenades dans Rome, II, 61 ; De l’Amour, p. 126 ; Le Rouge et le Noir, II, p. 62.
  3. Promenades, II, p. 74.
  4. De L’Amour, p. 124. — Rome, Naples et Florence, p. 124.