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dans son impassibilité[1]. Nietzsche persiste dans sa logique pessimiste en faisant l’éloge des Grecs pour cette insensibilité devant la condition médiocre de l’artiste. Le labeur, d’où l’œuvre d’art est issue, absorbe et courbe l’homme, lui laisse la tare physique de son effort, et lui paraît honteux comme un engendrement dont il faut cacher le mystère. La vérité est sans doute que ni le malaise de Burckhardt, ni le triomphe de Nietzsche ne se justifient. Les faits signalés par eux n’ont rien de plus choquant que la contradiction par laquelle chez les mêmes Grecs l’artisanerie est réputée servile, tandis que l’agriculture et le conmerce sont occupation noble. Il faut de toute nécessité que la différence des classes de la société se retrouve dans l’estimation qui est faite du travail. Il y a des survivances dans l’estime accordée à de certaines occupations, Burckhardt le remarquait avec justesse, et l’agriculture a bénéficié auprès de toutes les aristocraties d’un souvenir vague qui persistait de la vie héroïque. Ainsi encore dans toutes les civilisations raffinées, il se constitue un public d’amateurs auprès desquels l’artiste n’a pas nécessairement grand crédit social. L’esprit critique se développe dans les aristocraties avec raffinement de l’esprit, pour des raisons que Nietzsche a notées mieux que Burckhardt.

La société grecque jusque dans son estime de l’art, limitée à l’œuvre et refusée à l’artiste, se trouve, aux yeux de Nietzsche, conséquente avec elle-même. La cité grecque n’est aimable par aucun de ces aspects. Elle a inventé l’organisation de castes solides qui différencie

    poètes méprisés et que les peintres que n’assujettissait pas le pénible travail du ciseau ou du fourneau de fonte sont comblés de considération.les poètes méprisés et que les peintres que n’assujettissait pas le pénible travail du ciseau ou du fourneau de fonte sont comblés de considération.

  1. J. Burckhardt, Griechische Kulturgeschichte, t. IV, p. 137. — Nietzsche, W., IX, pp. 148-151.