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peu à peu du mythe[1], porte une empreinte toute nietzschéenne. C’est en paroles empruntées à Erwin Rohde que Burckhardt décrit le fait qui se produit, « l’éveil d’une faculté de se représenter sans images le monde et la vie, et dès lors de se détourner des images illusoires des anciens dieux mythologiques »[2]. Et Rohde n’est ici que l’écho de Nietzsche.

Ainsi se rejoignent les idées que Nietzsche apportait à Bâle et celles qu’il empruntait à Burckhardt. Puis, sur ce fond sombre des idées burckhardtiennes, il allait projeter sa vision de la tragédie grecque.


III

la sociologie des faits de l’esprit


Burckhardt et Nietzsche ont essayé sur les Grecs une démonstration qu’il serait aujourd’hui encore intéressant de reprendre sur d’autres peuples. Ils ont essayé une interprétation sociologique des faits de l’esprit. Voilà une de « ces choses qu’on pouvait apprendre à Bâle à propos de la Grèce », au temps de Nietzsche et de Burckhardt ; et l’on peut affirmer que le mérite de ces deux hommes, le jour où une sociologie littéraire sera constituée, paraîtra très grand. Il s’agit, dans la formation des genres, de faire leur part aux individus d’élite et sa part à la collectivité. Ils sont d’accord pour admettre que la part de la collectivité est la première. Burckhardt était amené à le penser, parce qu’un historien incline à considérer les formes littéraires comme des faits généraux. Nietzsche le pense parce que, en romantique wagnérien, il tend à

  1. J. Burckhardt, Griechische Kulturgeschichte, IV, p. 271.
  2. Emprunté au livre de Rohde sur le roman grec, p. 13.