Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/344

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le christianisme par là aurait été aboli[1]. » Trouvera-t-on encore du paradoxe maintenant à entendre Nietzsche glorifier, dans Par delà le Bien et le Mal et dans le Crépuscule des Idoles, « les civilisations tropicales, où, comme dans des forêts vierges rôdent des monstres de parfaite santé morale, tels que César Borgia[2] ? » On peut dire que Nietsche tire parti, pour sa propagande pratique, des résultats de Burckhardt.

Cela est significatif : car ces résultats sont tristes. Dans la doctrine de Burckhardt, la Renaissance ne pouvait éclater que dans une floraison magnifique, mais éphémère. Sa destinée fut pareille à la destinée grecque. Nietzsche admet la mélancolie de ce positivisme. Puis il s’interroge et creuse. Pourquoi cette brièveté ? Pourquoi cette défaite toujours renouvelée des forts, de tout ce qui est de bonne venue ? Le point de départ de tout le lamarckisme psychologique et social de Nietzsche est là. Les livres de Burckhardt s’achèvent sans conclusion. Nietzsche veut conclure et réformer. Il entend donc que la sélection de l’humanité supérieure demeure possible malgré la destinée adverse et la conspiration éternelle des médiocres. Il faut pour cela voir la réalité sociale sans déformation. À mesure que son esprit dégagé de romantisme a mieux compris les conditions sociales de l’œuvre qu’il médite, il s’est donc rapproché de Burckhardt. L’œuvre pratique de régénération à laquelle songe Nietzsche suppose connues les lois qui régissent la décadence et la renaissance des civilisations. Elle suppose aussi que l’on sache faire une juste évaluation de la

  1. Nietzsche, Antéchrist, p. 61. Cf. l’appréciation d’un ouvrage plus récent, Casimir von Chledowski. Rom. Die Menschen der Renaissance, 1912, pp. 166-176.
  2. Jenseits, § 197 (VII, p. 127) ; — Gœtzendaemmerung (Streifzüge eines Unzeitgemaessen, § 37) (VIII, p. 145).