Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/77

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qui ne l’entravent point. Il s’interdit une explication positive de ces qualités. Qu’un Thésée limite librement le pouvoir royal, voilà une grande chance de plus pour la croissance de la beauté. Une nature sobre, et non pas écrasante par sa rudesse, comme celle du Nord, ni éblouissante d’un éclat dur, comme celle du Midi, voilà ce qui, sans l’expliquer, permet la naissance d’une sensibilité harmonieuse et toute pénétrée de raison. La nature orientale, pleine de mystères sombres et taciturnes, comment laisserait-elle grandir l’intelligence claire ? La nature du Nord, si rude, comment ne nous obligerait-elle pas à nous protéger dès l’enfance ? Elle refoule l’esprit au dedans, le pousse à la réflexion critique, où se flétrit la candeur nécessaire à la création.

La tâche du héros selon Hœlderlin sera de tenter l’éducation de cette humanité du Nord, écrasée par son ciel de brume, flétrie par sa réflexion précoce. Du wirst Erzieher unseres Volks, du wirst ein grosser Mensch sein. Aucune parole ne fut mieux faite pour stimuler l’ambition secrète qui sommeillait dans Nietzsche adolescent. Après son problème de philosophie sociale, celui de l’origine de la civilisation, Nietzsche reçoit encore d’Hœlderlin sa mission pratique : faire renaître en Allemagne une Grèce nouvelle. Mission plus étroitement orgueilleuse que celle des grands classiques, en qui l’idée d’une culture européenne reste toujours présente. Hœlderlin ne songe qu’à l’Allemagne, Le silence même où elle sommeille lui paraît le recueillement solennel qui annonce le dieu nouveau, le génie allemand en marche. Le génie est ainsi comme le printemps. Il va de pays en pays. Il est présent, par un pressentiment puissant, au cœur des adolescents allemands, dans la piété douce des poètes d’Allemagne, dans l’audace incorruptible de ses philosophes. Comment ne se préparerait-il pas une œuvre