Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/83

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il vit dans la retraite, nourricière de son enthousiasme. Les fantômes des actions futures se lèvent au regard de sa contemplation solitaire. Hœlderlin ne le fait pas indifférent à la détresse de son peuple. Son Empédocle descend parmi les hommes au jour où le remous confus des multitudes a besoin d’une parole qui l’apaise. Que signifient ces jours d’émeute nocturne et sanglotante ? cette division entre les proches ? cette inefficacité des lois ? C’est le signe que le dieu s’en va du peuple, et alors c’est au philosophe à le conjurer et à le faire redescendre des étoiles ; ou plutôt l’esprit de la cité, avant de s’en aller, choisit un dernier élu pour dire sa volonté et pour assurer la transmission des lois de la vie à la cité qui change.

Il y a dans Hœlderlin cette vue profonde sur le caractère grec : un goût de tyrannie est vivant dans les plus grands des penseurs hellènes, mais aussitôt il généralise : par elle-même la pensée est tyrannique. Hœlderlin sait par Schiller que toute pensée est d’abord négation impie, analyse dissolvante. Il prêtera donc à son philosophe un prodigieux orgueil de pensée novatrice. Une allusion contemporaine est présente à cette peinture de la faute et de la purification du philosophe. N’oublions pas que Hœlderlin a été condisciple de Schelling et de Hegel au séminaire théologique de Tübingen. Il a entendu Fichte en 1794 à Iéna. Pour le naturisme profond de Hœlderlin, le criticisme kantien, l’idéalisme de Fichte, la logique hégélienne attachée à reconstruire le réel au lieu de s’y donner, sont une déviation. Seule la sentimentalité peut nous ramener à la nature que nous avons abandonnée. Empédocle, si profondément initié aux secrets du savoir, commet cette ingratitude de suivre la croyance criticiste et de méconnaître la nature où tout savoir s’alimente. Un jour, sur l’agora, il a professé cet enseignement des-