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acrimonie s’en assombrissait. Scrupuleux jusqu’à l’excès dans l’énumération des griefs qu’il avait contre lui-même, il se redressait par le sentiment du moins de sa probité intérieure. Les dépressions morales étaient courtes, comme les accès de rhumatismes dont il souffrait. Les vacances de Naumburg, l’automne de 1865 durant, apportèrent une guérison provisoire. Mais la récidive de son mal moral était plus fréquente que celle de ses crises physiques. Berlin, qu’il connut alors, pendant une quinzaine, pour y avoir été reçu dans la famille de son ami Mushacke, ne l’a pas consolé. Il l’a vu sans verdure, dans la pâleur de son ciel d’automne : et l’atmosphère de Berlin, hypercritique et froide, a encore nourri son pessimisme.

C’est avec délices, écrit-il, que j’ai appris alors à voir les choses en noir, puisqu’aussi bien (sans qu’il y eût de ma faute, ce me semblait) c’était la couleur qu’avait prise mon destin.

On ne voit pas le désastre qui aurait motivé une plainte si mélancolique. C’est en lui-même qu’il portait une malfaçon, dont le sentiment lui reviendra de temps en temps. Sa sensibilité sera désormais rythmée de douleur et de désespérance. Le voilà presdestiné à devenir le disciple de Schopenhauer, que Robert Schumann annonce à tant d’égards. Il devait éprouver toutefois bientôt que la plus sombre pensée peut alimenter la joie de vivre, pourvu qu’elle nourrisse en nous le sentiment de l’effort victorieux.


II

leipzig (1865-1869)


Leipzig, où Nietzsche débarqua le 17 octobre 1865, avec son ami Mushacke, plut à ces jeunes gens par « ses hautes maisons, ses rues animées et tout son mouvement