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intense »[1]. Nietzsche choisit une petite maison sise Blumengasse au fond d’un jardin. Son goût cérémonieux trouva de bon augure que le jour de son inscription à l’Université fût le centenaire du jour où s’était autrefois immatriculé Gœthe. Sans doute, le recteur Kahnis essaya de montrer à son jeune auditoire que le génie suivait ses voies propres et que les études de Gœthe à Leipzig ne se recommandaient pas par la régularité aux générations futures d’étudiants. Les jeunes gens sourirent de cette commémoration, dont le soin premier était de ne pas proposer en exemple le grand homme qu’on célébrait.

Le premier événement heureux fut la leçon d’ouverture de Ritschl. En pantoufles, mais en habit noir, tout perclus de goutte, le vieux maître s’était glissé dans la grande salle. 11 s’égaya de retrouver tout un groupe fidèle de ses anciens étudiants de Bonn ; puis monta en chaire et, avec ce feu juvénile qu’il gardait sous des cheveux gris, il prononça dans un latin prodigieux sa leçon sur La valeur et l’utilité de la philologie. Il avait bien distingué Nietzsche dans la foule, et fut touché de cet attachement. Nietzsche à son tour se promettait cette fois d’accepter la discipline de cette maîtrise.

Il faut se reporter aux travaux de Ritschl, à sa biographie par Otto Ribbeck et aux préceptes où il a formulé sa méthode, pour se rendre compte de son action. Il savait l’antiquité grecque et latine entière. Pour lui la science philologique était la résurrection de la civilisation intégrale d’un peuple. Ses travaux ne touchaient pas seulement à l’histoire des formes littéraires, mais à l’histoire de la pensée et des institutions autant qu’aux disciplines plus formelles de l’épigraphie, de la paléographie et de la

  1. Carnet autobiographique de 1867, dans E. Foerster, Biogr., I, pp. 223-245. Der junge Nietzsche, p. 171 sq.