Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/127

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tiques semblent revivre parmi nous. Nietzsche nous parle de Parménide ; et c’est à Kant que nous songeons. S’agit-il d’Héraclite ? son image prend subitement les traits de Nietzsche. Nietzsche avouera plus tard que, « dans son voisinage, il se sentait comme réchauffé et réconforté » [1]. Et comment ne pas reconnaître Nietzsche quand il nous parle du philosophe d’Éphèse, « aux yeux fixes, tournés en dedans et qui semblent morts » ? Le sentiment héraclitéen de la solitude, « dont les plus farouches déserts de la montagne donnent seuls l’idée », comment ne nous rappellerait-il pas les semaines méditatives vécues par Nietzsche au Splügen, à Flims ou à Bergün ? Cette mésestime avec laquelle Héraclite parle « des hommes qui interrogent et amoncellent», de tous les esprits historisants, n’est-elle pas l’annonce de l’Unzeitgemaesse sur la maladie historique [2]. Le portrait d’Héraclite est un miroir, où Nietzsche contemple, non sans orgueil, sa propre image. C’est pourquoi il nous faut prendre garde, quand au bout de la série apparaît l’homme vers lequel se dirige tout le récit : Empédocle. De notre temps, il s’appelle Wagner. Depuis l’année 1871, où Nietzsche avait esquissé son drame d’Empédocle, ce parallèle obsédait son imagination. Car, pour Nietzsche, Wagner était philosophe autant que musicien et poète [3]. Il lui découvrait ce devancier présocratique : le philosophe aux attitudes royales qui s’en va vêtu de pourpre, ceinturé d’or, chaussé de sandales d’airain, le front ceint de la couronne de Delphes. Pourquoi Nietzsche fait-il d’Empédocle le philosophe le plus grand ? C’est qu’il est de tous le plus compréhensif et le plus agissant. Pénétré

  1. Ecce Homo. (W., XV, 65.)
  2. Die Philosophie im trag. Zeitalter, § 8. (W., X, 46.)
  3. Richard Wagner in Bayreuth, posth., § 348. (W., X, 447.)