Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/136

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de Socrate, il faut le contredire. Il n’a pas toujours considéré Socrate comme un « décadent » [1]. Il y a eu des années où il a compris que le savoir et l’art de voir clair en soi seraient encore une force, alors même qu’ils ne seraient pas les auxiliaires nécessaires du vrai.


Je l’avouerai donc ! Je sens Socrate si près de moi qu’il me faut presque toujours lutter contre lui [2].


Dans Menschliches, Allzumenschliches, Nietzsche adoptera l’attitude d’esprit socratique, et déjà son cours sur les Philosophes grecs avant Platon est dénué de prévention [3]. Ses préjugés avaient été au nombre de trois :

1o Socrate est plébéien d’origine, d’aspect et de tempérament. Fils d’un sculpteur et d’une sage-femme, il a le masque d’un faune bas, et il en a l’indiscrète astuce. Il a grandi au milieu de la plus grande floraison d’art que l’humanité ait vue ; et il l’a niée avec audace. Il a contesté Pindare et Eschyle, Phidias et Périclès, comme il a manqué de respect à Homère, à la Pythie et à Dionysos. Il a versé dans la poussière la liqueur fortifiante de la croyance ancienne et de la philosophie. De quel droit ? Il représente le savoir. Or, l’aristocratie, le mythe, l’art, la philosophie ne résistent pas à la critique du savoir.

2o Socrate est proprement le contraire d’un mystique (der specifische Nichtmystiker) [4]. En lui l’instinct apoUinien atteint ce paroxysme, où il est logique pure. Tout sens instinctif de la vie est évidé par ce terrible travail de sa tarière dialectique. Le voici armé contre toute énergie proprement créatrice. Son démon déconseille

  1. Ecce Homo. (W., XV, 63.)
  2. Philosophenbuch, 1875, § 188. (W., X, 217.)
  3. Die vorplatonischen Philosophen, § 17. (Philologica, III, 224-234.)
  4. Geburt der Tragödie, § 13. (W., I, 95.)