Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/155

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Un État est mal organisé où d’autres hommes que les hommes d’État… ont besoin de s’occuper de politique [1].


Nietzsche oublie-t-il que c’est cette abdication des citoyens qui a causé la longue domesticité du peuple allemand ? Et comme cette notion bourgeoise de l’État policier se rétrécit encore, quand elle émane d’une préoccupation personnelle de sécurité ! En vérité, défendre ici son philosophe, n’est-ce pas l’absoudre de son sybaritisme ? Pourquoi donc Nietzsche lui reprochait-il ailleurs de se cantonner dans « une cité de loisir » ? Enfin, est-ce là ce qu’avaient enseigné les grands Anciens, réformateurs de la cité ? et peut-on dire de Schopenhauer qu’il soit l’héritier de cette philosophie qui fut une « philosophie d’hommes d’État » ?

La biographie de Schopenhauer se prête mal à une psychologie du philosophe-libérateur. Les dangers que court le philosophe et qui, au dire de Nietzsche, lui viennent de son tempérament autant que du milieu où il vit, Schopenhauer ne les a pas connus tous. Une fois de plus, il nous faut soupçonner que Nietzsche, en traçant ce portrait du philosophe, efface les traits du Schopenhauer réel, parce que sa rêverie poursuit une autre image intérieure.

Selon Nietzsche, ce danger de la vie philosophique est triple : 1o Danger de la solitude ; 2o Danger du désespoir philosophique ; 3o Danger qui vient des bornes de l’individu, quand la mission du philosophe exige l’humanité intégrale.

1o La solitude. — « Le philosophe est seul », dit Nietzsche. « Einsam zu ziehen die Strasse, gehört zum Wesen des Philosophen. » Il ne peut compter sur les sym-

  1. Schopenhauer als Erzieher, è 7. (W., I, 472.)