Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/166

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entre les individus est un premier mirage de notre faculté de connaître ? Et au terme de cette recherche désolante, il nous faudra conclure peut-être que la résorption de notre existence dans le vouloir universel serait pour nous l’événement le plus souhaitable et la plus sereine des contemplations. Qu’elle doive ne pas aboutir, ou qu’elle aboutisse à cette révélation tragique, nous nous devons à nous-mêmes de pousser à bout cette recherche et d’accepter les conséquences qui en découlent. Ce qui est en question, c’est la valeur des âmes, et non la durée de la vie. L’héroïsme de la vérité est une forme nouvelle de la sainteté : il abdique devant la vie, comme la sainteté chrétienne. C’est là l’enseignement de la nouvelle « philosophie tragique », et du schopenhauérisme, tel que Nietzsche l’a compris.

2o Nietzsche ne s’en est pas tenu à cette philosophie, qui abîme la personnalité dans une vie par delà le réel visible, et à laquelle nous ne pouvons rien. Le héros nietzschéen du vrai a l’air de détruire et de briser les lois de . cette vie, mais toute son activité affirme l’espérance en une vie plus haute [1]. Il y parvient par la souffrance. L’élan de toute vie est lutte. Mais le lamarckisme de Rütimeyer est vrai de la vie de l’âme. L’élan vital ne retombe jamais à son étiage le plus bas. Toute ascension vers des hauteurs reste une durable conquête. Les individus y ont gagné d’avoir atteint à de plus hautes qualités. La collectivité en retient d’avoir été portée à un niveau d’où elle ne redescendra plus.

Sans doute, ce qui reste mystérieux, c’est le rapport de la vie de l’individu à la vie générale, où il puise sa vie propre et dont il est un réceptacle partiel. Le salut de l’espèce se joue, en même temps que le nôtre, dans la

  1. Ibid., § 4. (W., I, 428.)