Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/168

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réellement acquitté, n’oublions pas que ce sentiment accompagne volontiers chez les grands créateurs l’invention en travail. Son orgueil était des plus discrets. Avec un tact exquis, il gardait pour lui tout ce rêve : Il se faisait le messager de la gloire d’autrui. Mais aux feuilles secrètes de ses carnets il confie sa pensée vraie :


Ce philosophe, pour notre salut à tous, il faut qu’il renaisse encore une infinité de fois. Il ne suffit pas de cette apparition fragile : Schopenhauer… À coup sûr, bien des révélations différentes sont possibles de la même pensée hostile au monde et intempestive ; des manifestations plus populaires, plus sympathiques, plus parlantes. Et il se peut que notre temps précisément, si adonné aux soucis d’un siècle hâtif et irréfléchi, si voisin des dangers les plus redoutables à tout bonheur terrestre, soit gros de révélations pareilles, et sans nombre.


Il pensait que l’une de ces révélations réservées à notre temps était la sienne, jusque-là si dissimulée, et qui, dans les Unzeitgemaesse Betrachtungen, avait risqué ses premières prédications.


IV. — Le platonisme de Nietzsche.


Pourtant le modèle de Nietzsche, en 1876, n’était plus Schopenhauer. Et ce ne pouvait plus être Héraclite, depuis que Nietzsche, pour des raisons empruntées à la biologie et à l’histoire, avait élargi sa philosophie du devenir jusqu’à y comprendre l’intellectualisme socratique. L’ambition de Nietzsche est toujours la plus haute de toutes. Du jour où Platon lui est apparu comme le mieux doué des philosophes qui pût mener à bien la réforme « hyperhellénique », la rivalité s’engage entre Nietzsche et Platon. L’œuvre restée interrompue, Nietzsche entreprend de l’achever ; et il tire à lui Platon violemment.

Un témoin de son enseignement, qui a entendu Nietzsche dans une de ces leçons qu’il faisait en 1876 sur Platon, a eu de cette interprétation nouvelle une impres-