CHAPITRE III
LE PREMIER SYSTÈME DE NIETZSCHE
OU PHILOSOPHIE DE L’ILLUSION
n va essayer ici une audacieuse construction. Nous
affirmons la cohésion totale de la pensée de
Nietzsche dans ce premier système. Nous croyons
la retrouver vivante et une, à travers les fragments lacérés
de ses œuvres posthumes jusqu’aux approches de 1876 [1].
Au moment où les contradictions se montrent, c’est que
déjà le système est en mouvement, et qu’il va changer.
La philosophie de Nietzsche s’est constituée par un travail régressif, où il a médité sur une grande expérience intérieure. Le drame musical wagnérien est descendu sur lui comme une illumination. Il n’a trouvé qu’un parallèle dans l’histoire à ce grand fait, et c’est la tragédie grecque. Il a essayé de comprendre son propre frisson par le frisson qui secouait les foules grecques, initiées aux mystères de Dionysos. L’étrange révélation, deux fois descendue parmi les hommes à vingt-cinq siècles de distance, s’était montrée consolatrice. Elle apportait un message éclatant d’évidence sur le sens de la vie.
- ↑ Notre interprétation différera donc beaucoup ici de l’interprétation très sommaire offerte par Raoul Richter, Fr. Nietzsche, sein Leben und sein Werk, 1903, qui soutient p. 133 : « Die längeren erkenntnisstheoretischen Partien des Nachlasses dieser Zeit erweisen sich noch als durchaus unsystematisch, verworren und dilettantisch.