Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/182

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notion de la vérité peut-elle venir à un être ainsi fait de mensonge délibéré et d’illusions involontaires ? Comment arrivera-t-il un moment où dans l’homme surgira le besoin, voire le fanatisme et l’héroïsme de la vérité ? Comment peut-il naître un Socrate ? C’est une longue évolution à décrire.

Le besoin de vérité est d’abçrd social ; il est besoin de véracité entre hommes. L’existence sociable de l’homme et sa vie précaire nécessitent une trêve dans la guerre de tous contre tous. De certaines formes de simulation ont été condamnées par la société. À celui qui simulait ce qu’il n’était point, il faut, à de certains moments, arracher le masque. Il apparaît alors tel qu’il est dans sa réalité, c’est-à-dire tel que le fait l’estime générale, quand son procédé de simulation est percé à jour. Les simulations nuisibles à l’intérêt général furent réputées délictueuses. Elles furent dénommées « mensonges ». Confesser sans astuce, par le langage, ses intentions et ses actes, leur donner le nom qu’ils méritent dans l’évaluation qu’en a faite la collectivité, voilà ce qu’on appelle « dire le vrai ». La vérité est d’abord ce qui n’induit pas les hommes en erreur socialement : Elle est œuvre, non de clairvoyance intellectuelle, mais de vertu [1].

C’est un besoin moral qui nous a fait inventer la distinction du vrai et du faux. Ensuite nous avons voulu appliquer à nos relations avec l’univers une notion applicable seulement à nos rapports avec les hqmmes. D’un homme qui avait pris les apparences de la richesse, quand nous avons démontré qu’il est pauvre, nous pouvons dire qu’il a menti. Son attitude et son dire étaient faux. Mais comment amener l’univers à parler vrai ? Il ne nous parle pas même directement. Il nous parle par notre corps, par

  1. Ibid. (W., X, 193.)