Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/196

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Mais alors il faut aller jusqu’au bout du procédé figuré qui nous aide à nous construire l’univers, et cette considération suffit à réhabiliter par des raisons pratiques toutes les opérations de l’esprit qui nous semblaient si humbles dans leur origine et si peu capables d’atteindre la réalité.

Ce qu’on peut dire, c’est que la métaphore, qui nous fait imaginer des causes extérieures sur le modèle de la cause intérieure, nous a réussi. Cette métaphore, enrichie de développements métonymiques, a suffi à construire la science et notre science a prise sur l’univers ; il y a quelque raison de persister dans une façon de penser qui nous a valu de semblables avantages. Ce que nous nous construisons par métonymie et par métaphore, c’est une image transposée de l’univers, et comme un relevé de plan dont chaque point correspondrait à un point déterminé du terrain cartographie. Ainsi notre intelligence correspond au réel sans y ressembler ; et il y a lieu de supposer qu’elle en notera les détails de mieux en mieux par des procédés que des nécessités pratiques lui prescrivent [1].

Ces procédés, dit-on, n’ont rien de logique ? Mais la logique elle-même est métonymie pure, incohérence et métaphore. Elle n’affecte une apparence de continuité analytique et d’évidence que pour l’esprit qui est dupe de ses images. Peut-être est-ce donc notre procédé de métonymie imagée qui atteint le réel. La régularité des lois de la nature, que prouve-t-elle, si ce n’est qu’une mémoire est vivante dans la matière elle-même ? Pourquoi un corps heurté par tel autre corps se décide-t-il pour telle réaction habituelle, si ce n’est parce qu’antérieurement

  1. Gedanken, 1870 (W., IX, 74) ; Theoret. Studien, 1872, §§ 102, 106, 144,. 148. (W., X, 153-l54, 169-170.)