Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/197

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il avait déjà pris ce chemin et qu’il s’en souvient ? S’il s’en souvient, c est donc, comme Zoellner le disait, qu’il en a aussi eu la sensation. Des choses étrangères les unes aux autres n’agiraient probablement pas les unes sur les autres. Les corps qui obéissent à l’action du dehors perçoivent donc cette action obscurément [1]. C’est pourquoi Nietzsche, avec Zoellner, considère la matière comme une foule de centres d’aperception ; et c’est jusque dans le dernier atome qu’il admet, avec la faculté de réagir physiquement, une volonté, une émotivité propre à ressentir la joie ou la douleur.

Tout l’univers, il se le représente donc dans son fond comme de la douleur et de la joie, et tout ce qui s’y passe comme un effort pour libérer les êtres de leur souffrance. De quoi disposent-ils pour cela ? De la représentation. Ils tâchent de charmer leur émotivité par des images rayonnantes. Ces images pourtant sont de diverses sortes, et il y a lutte entre ces images. Il y a les images du rêve affranchies de tout contrôle, et il y a les images de la veille sévèrement triées. Le triage s’est fait par des nécessités d’action impérieuses. Mais il s’accompagne d’une émotion de joie. La science et la conscience sont une si grande clarté projetée sur- le monde que l’humanité en éprouve d’abord une émotion enivrée. Devant cette émotion, les images de rêve ne résistent plus. Dans la sélection des images, les images claires du savoir conscient l’emportent. C’est là la joie du savoir ; et l’humanité réclame désormais cette joie. Car la connaissance claire lui a donné sur l’univers un pouvoir victorieux qu’elle ne se connaissait pas.

L’univers ne nous ment donc plus depuis que nous avons su le contraindre à nous répondre. Ce que nous réclamons

  1. Ibid., §§ 96-100, 139, 153. (W., X, 150, 151, 152, 164, 174.)