Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/230

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de toutes leurs actions. Le caractère des hommes peut émerger, plus ou moins pur, au-dessus de la surface des phénomènes sensibles. En lui-même il ne se transforme jamais ; et Nietzsche sent avec désespoir la vanité de son ambition intérieure. Lamarck et Emerson viennent à la rencontre de sa jouissante émotion. La vie naturelle est un flux, qui charrie des formes figées par de longs siècles, mais dont chacune peut subir d’insensibles variations. Dès lors l’éducateur peut agir. Une sélection est possible. La question centrale de toute philosophie en est modifiée. Cette question consiste à définir ce qui dans les choses est immuable ou sujet à métamorphose. Cette part faite à l’immutabilité relative des formes, il faut travailler avec la dernière énergie à améliorer les formes modifiables [1].

Tout vivant est une telle forme, irrémédiablement figée pour une part, mais fluide aussi en partie, et capable d’attirer à elle, par cristallisation, des particules du grand courant vital où elle plonge. Elle est en mesure ainsi de modifier la structure même par laquelle elle a prise sur les choses. À vrai dire l’instincl brut qui déchaîne les égoïsmes en a déjà le sentiment. C’est pourquoi l’évolution des êtres vivants accuse nécessairement un progrès.

Mais ce progrès s’achète par des violences sans nombre. Des espèces, des races, des individus s’accroissent au détriment de tous ou des meilleurs. La masse compacte des vivants avance, comme un troupeau qui massacre impatiemment son avant-garde ou qui, dans sa marche en avant, passe sur le corps de ceux qui s’attardent. Ainsi tout vivant est seul dans la mêlée, où dominent quelques fauves redoutables. Chacun de nous est faiblesse et imperfection ; et les institutions mêmes qui font durer la collec-

  1. Richard Wagner in Bayreuth, § 3. (W., I, 514.)