Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/233

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vivante et mystique fraternité [1]. Elle nous apprendra, même dans la douleur, à aimer.

Il se trouve que pour nous justement, « enfants d’un siècle de misère », cette musique consolatrice est venue. Elle paraît toujours à l’instant providentiel. Le lamarckisme de Nietzsche se joint à sa conviction schopenhauérienne pour lui faire comprendre ce qu’il y a de prédestination dans ce hasard. Wahre Musik ist ein Stück Fatum und Urgesetz [2]. La musique naît d’une nécessité vitale. Elle vient pour ceux qui l’ont méritée le moins et qui ont besoin d’elle le plus. Elle est la nature même qui use en nous d’une force médicinale spontanée. Elle est la plus forte réaction de la vie contre les poisons dont le milieu est saturé.

Mais les âmes nourries de musique se meuvent selon un rythme nouveau, plus grand et plus libre. Une force les anime qui essaie de se former un corps. Lamarck se demandait quelle était l’énergie intérieure qui soutient les vivants. Il la supposait existante en des fluides invisibles qui traversent les tissus des organismes. Nietzsche ne trouve pas utile de donner un nom matériel à un principe qui doit expliquer toute vie, même morale. Il suffit de l’appeler la vie. La science biologique devra décrire comment la vie organise des formes organiques diverses. En son fond pourtant la vie est distipcte de toutes ses formes, qu’elle résorbe après les avoir engendrées ; et l’on peut avoir le sentiment de la vie, avant de savoir ce qu’elle crée.

Ce sentiment de la vie, qui diffère de la science sans la contredire, nous est donné par l’art ; mais aucun art ne le donne plus profondément que la musique. C’est pour-

  1. Richard Wagner in Bayreuth, § 5. (W., I, 527.)
  2. Ibid., § 6. (W., I, 536.)