Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/24

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formes fantomatiques et faussées. Puis, à mesure, comme à la lueur de ces pièces d’artifice qui laissent échapper une pluie d’étincelles argentées, une clarté pâlissante, mais plus pure, descend, qui rétablit dans leurs proportions vraies, les silhouettes et les perspectives.

Ce qui décide donc, c’est l’éclairage émotionnel, le jugement de valeur que Nietzsche suspend sur les hommes et sur l’univers. Il faut imaginer chez Nietzsche autant de systèmes qu’il a de fois renouvelé ses jugements de valeur. Ces jugements établissent sinon les dernières vérités, du moins les dernières normes. Les valeurs ne nous sont pas données comme les substances étaient données aux métaphysiciens dogmatiques, ni même comme les principes a priori se découvrent dans la pensée pour le criticisme kantien. Nous ne les trouvons pas en nous toutes faites. Il faut les créer. À défaut d’une vérité posée hors de nous et que notre esprit pourrait refléter, il ne reste à notre esprit qu’à projeter lui-même sur la vie sa lumière intérieure, pour donner à la vie le seul sens qu’elle puisse avoir. Il ne lui reste qu’à dire ce qu’il aime de la vie ou ce qu’il en répudie.

Ces jugements de valeur sont le seul a priori qui subsiste dans une philosophie qui ne reconnaît plus de pensée impersonnelle, ni de structure commune à tous les esprits. Des hommes irréductiblement différents et périssables en sont réduits à n’apercevoir que des vérités tirées de leur propre fonds. Or, ils ne trouvent au fond d’eux que des jugements de valeur. Mais quel rapport entre la dure réalité et ces jugements que nous en portons, ombres colorées et fugitives qui se posent sur les choses sans les pénétrer ? C’est que ces valeurs sont des qualités pures. Loin de rester étrangères au réel, c’est le réel qui reçoit d’elles sa raison d’être. Il rentre dans le néant quand les