Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/262

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Pour Nietzsche, il n’y a pas de droit qui ne soit issu de la force. Et pourtant les conquérants qui le fondent sont acclamés des foules. Ils disposent de cette fascination dont Emerson avait parlé, et qui entraîne derrière eux les multitudes captives dans les chaînes d’un vouloir magnétique [1]. La plus rude monarchie usurpatrice, à ce compte, révèle déjà les fins immatérielles de l’État, et le présent militarisme les fait apparaître nettement au regard spéculatif. Dans la terrible épreuve de la guerre, les individus reprennent spontanément leur rang réel. Ils sont enveloppés comme par un fluide qui les imprègne, les désagrège et puissamment les aimante [2]. Il se fait une lente différenciation par aptitudes fixes. Une attraction naturelle mène les semblables vers les semblables.

Il s’établit une hiérarchie naturelle. De certains services publics ressemblent à des organes passifs qui, par l’usage, ont pris d’eux-mêmes la structure qui assure le rendement le plus fort ; et les hommes qui y sont attachés adoptent aussi l’état d’esprit qui les approprie à ces services. Puis des organes actifs de commandement prennent le dessus parle fonctionnement même de la vie. La discipline passive des subalternes forme l’ossature pesante de tout le corps social. Leur dignité est d’obéir au génie stratégique qui combine les opérations de guerre. Aussi l’État militaire, lui aussi, a pour fin unique la sélection du génie qui le mène, et dont l’œuvre sanglante est à sa façon une œuvre d’art et un drame déroulé sur la surface des continents [3].

Une généralisation peut se tirer de là. La robuste structure des États militaires peut se comparer à un

  1. Ibid., § 10. (W., IX, 155.)
  2. Ibid., § 11. (W., IX, 163.)
  3. Ibid., (W, IX, 162-163.)