Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/269

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On ne saurait trop méditer sur le sens social sévère que prend le système de Nietzsche, à son aurore, par cette menaçante prédiction.

Il y a eu, selon Nietzsche, des classes riches qui ont su leur devoir envers la collectivité. Il convient qu’une civilisation trouve sa fleur dans une société oisive et brillante, superposée à tous et qui donne à tous l’exemple d’une vie artiste et philosophique. Les classes riches d’Athènes comprirent de la sorte leurs obligations ; et sans les chorégies onéreuses auxquelles elles s’astreignirent, la tragédie grecque ne serait pas née. Mais toutes les invectives wagnériennes sont de mise contre la bourgeoisie d’aujourd’hui. Par son épîcurisme intellectuel et par son égoïsme, elle a tué en elle le besoin de la culture difficile et vraie. Elle a corrompu les arts, parce qu’elle en fait une coûteuse distraction à son ennui. Que l’art véritable apparaisse, quelques souscriptions, quelques représentations de gala, quelques fêtes funéraires, la tireront d’affaire. Insultantes aumônes au génie qui lutte, ou palmes tardives jetées sur sa tombe : le génie n’en doit marquer aucune gratitude, caria bourgeoisie retourne, l’instant d’après, aux pures recettes d’agrément, et à cet art, où les Français excellent, d’accommoder avec élégance, avec dextérité, et de façon à lui donner une saveur intéressante, une denrée raffinée ou grossière, chinoise ou grecque, tragédie ou bagatelle grivoise. Cette cuisine pimentée, où l’assaisonnement doit nous cacher la pauvreté de l’aliment réel, atteste le goût blasé des neurasthéniques de l’effort industriel. Après quoi, ils retournent au jeu éhonté de leurs spéculations qui sèment les ruines.

Nietzsche ne souhaite pas seulement, il prédit la fin de cette folle et coupable rage. L’instruction superficielle, hâtive, large, l’audace du self help, la précision combative