Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/275

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des sources ». On se représenterait les serviteurs du vrai comme des guides orgueilleux qui viennent, le flambeau à la main, d’une région de clarté. Ils sont d’humbles mineurs, occupés à amener à la lumière le « tout-venant » des houillères de l’esprit, et ils creusent machinalement leur bout de galerie souterraine. Ils sont modestes et de sentiment étriqué, comme de pauvres hères qui ne peuvent pas se permettre le luxe des grandes générosités.

Non certes qu’ils soient méprisables. Ils ont une probité foncière, incapable de s’élever haut, mais fidèle. Leur myopie voit de près, par taches qui ne se rejoignent pas, et ne saisit pas les ensembles. Quoi d’étonnant si leur esprit se rétrécit comme leur champ de vision ? s’ils prennent des vices de gagne-petit, se disputent des miettes d’invention, de petits secrets de fabrication, de minces découvertes jalousement brevetées ?

Pourtant là aussi, l’aisance vient. Une masse énorme de connaissances étant accumulée, on ne se distingue plus que par de trouvailles rares. Alors le travail scientifique se poursuit comme une occupation de luxe, et se satisfait comme une passion de chasse. Elle devient un goût de l’aventure théorique, une curiosité de suivre la pensée à la trace dans des fourrés difficiles, un jeu risqué aussi et un sport quelquefois mortel. La recherche s’engage hâtive, fiévreuse, superficielle et inutile comme un steeple. Les plus désœuvrés s’attachent à de futiles difficultés pour les résoudre comme des rébus. Ou bien ils amoncellent des curiosités étranges comme des pièces de musée pour amateurs.

Mais, cantonniers ou sportsmen du devoir, les savants sont étrangers à la vie. Car la gaspiller à casser des pierres ou dans les distractions des oisifs de la fortune, n’est pas plus misérable que de la disperser dans la micrologie pénible ou dilettantesque du savoir. L’une et