Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/289

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tion nouvelle. Ceux-là auront peur de l’illusion jeune. Ils sèmeront le doute sur les patries, les mœurs, les croyances. Ne savent-ils pas que toutes les croyances ont changé et que toutes les patries sont destinées à périr ? Ils se donnent, quand ils sont nobles, une émotion raffinée à contempler cette fragilité des choses éminentes et respectées. Ils chercheront, dans le passé, des problèmes de connaissance, au lieu de lui demander des leçons d’action. Ils se feront une sensibilité propre à accueillir les impressions disparates et rares. Pour arrivera l’impartialité historique, ils évideront leur moi de toute conviction propre et de tout sentiment fort. L’instinct formatif qui seul peut mettre en œuvre les matériaux amoncelés parla recherche des érudits, succombera sous le faix immense des souvenirs [1].

Il naîtra de là deux états d’esprit, l’un de débilité, l’autre de cynisme. 1o C’est sénilité pure et manque de force morale que cette impartialité affectée avec laquelle les esprits critiques laissent défiler dans leur souvenir les civilisations et les hommes du passé. Ils en viennent à avoir tout expérimenté par l’esprit avant d’avoir ébauché aucun acte. Ils n’en risquent aucun, puisque le goût de l’analyse énerve les velléités naissantes, et que leur expérience historique leur enseigne la mort prompte de tout ce qui fut grand. Un memento mori sort pour eux du spectacle des choses humaines. À leurs yeux, tout a été déjà accompli et l’on vient trop tard, depuis cinq mille ans qu’il y a des hommes qui agissent au grand jour de l’histoire. L’esprit chrétienne jetait pas sur le monde un regard plus morose que ce scepticisme qui le prolonge. C’en est fait de tout ensemencement, de toute tentative osée, de tout désir, quand la pensée du périssable nous

  1. Vom Nutzen und Nachteil der Historie, §§ 4, 5. (W., I, 311, 319.)