Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/292

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L’histoire critique détruit les illusions, les autorités, les idées, parce qu’elle les ramène à leurs origines. Elle est un savoir. Mais savoir n’est pas encore comprendre. L’homme schopenhauérien sait les choses et à la fois les comprend, c’est-à-dire qu’il n’en connaît pas seulement l’origine, mais la valeur. Il sait l’origine et la valeur de la science elle-même. Les vérités dont il a souci ne sont pas des explications, mais des évaluations. Voilà par où il est aussi le grand homme d’action. Il est par delà l’héroïsme des exploits matériels. Sa sainteté nouvelle, l’abnégation au service d’une nouvelle et haute valeur à découvrir, Nietzsche la tient pour une prouesse à la fois plus dangereuse et plus difficile. Il marche à l’avant-garde de l’avant-garde.

Dans cette théorie de l’histoire, il subsiste pourtant une étrangeté. Nous devons par des livres, par de superficiels vestiges et des monuments en ruines, nous initier à la vie. Comment est-ce possible ? Ce n’est possible que par suggestion et par réminiscence platonicienne. Dans le platonisme, nous n’arriverions jamais à saisir les idées, si nous n’avions le souvenir effacé de les avoir connues dans une autre existence. Ainsi, dans Nietzsche, la vie, dont autrefois s’animaient les enveloppes mortes qui s’appellent des monuments, nous paraîtrait éteinte, si nous n’avions en nous une vie analogue et créatrice. Nous ne comprenons le passé qu’en fonctions du présent. Le document historique est fascination magique, qui nous ravit brusquement dans cette profonde région, que constituent la mémoire et l’impersonnel vouloir où sont enveloppés tous les hommes. Alors, nous nous découvrons identiques aux héros d’autrefois ; nous retrouvons notre àme dans l’âme continue de la tradition, et nous reconnaissons notre hérédité primitive dans les origines que notre critique analyse. Avec quelques bribes du passé redevenues intelligibles