Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/296

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ment de la forme, pour restituer en nous ce qui en fait la beauté [1].

Comment veut-on que ces qualités restent vivantes chez des hommes enrégimentés, usés et rapetisses par leur surmenage ? Leur notion même de la culture diffère de celle que l’antiquité peut donner. C’est ainsi qu’ils ont construit cet idéal de la sérénité grecque, qui faussait encore l’esprit de Winckelmann. Une philosophie des lumières, un humanitarisme vague, voilà ce qu’ils ont substitué à la grécité tragique des grands siècles [2]. Les philologues ont projeté sur l’antiquité leur pensée petitement bourgeoise ; et la bourgeoisie les a chargés de répandre ce vague humanitarisme. Il n’est pas de condition pire pour comprendre le génie grec. Et la beauté hellénique, vue dans l’éclairage pauvre de ces ateliers, perd à jamais la vigueur de son tragique contour.

Le second antagonisme vient de ce qu’il ne s’agit pas de restituer, même par un sentiment exact, ce que fut la Grèce. Ce serait une délicate, mais vaine distraction ; car la vie ne se recommence pas. Nous n’avons pas à imiter les Grecs. Entreprendre de copier une civilisation disparue est la chimère des époques mal informées ou des époques impuissantes. Nietzsche enseigne une civilisation créatrice, qui ne saurait s’asservir à aucune imitation, même du plus grand modèle [3]. Les Grecs, tout les premiers, nous enseignent l’art des emprunts multiples, mais transformés par une originalité puissamment active. À quoi bon, en efïet, comprendre les Grecs d’une façon désintéressée ? Nous ne sommes pas faits pour savoir ;

  1. Gedanken zur Einleitung. §§ 12, 25. (W., IX, 27, 30 )
  2. Wir Philologen, § 186. (W., X, 381.)
  3. Ibid., § 122, posth. (W., X, 354) : « Es ist «lie Sache des freien Mannes, seiner selbst wegen und nicht in Hinsicht auf andere zu leben. »