Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/30

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Or, à supposer que la métaphysique de l’art soit la cime la plus haute où puisse aboutir la réflexion philosophique, c’est donc bien une métaphysique intégrale qui ferait la « substance » de ce livre introductif.


Ce que je saisis alors, a-t-il écrit dans une Préface de 1886, ce fut une chose redoutable et dangereuse, un problème à cornes, non pas nécessairement un taureau sans doute, mais à coup sûr un problème neuf : Je dirais aujourd’hui ce que fut le problème de la science elle-même ; de la science considérée pour la première fois comme problématique, comme mise en question[1].


Affirmation osée, semble-t-il, quand depuis Kant, la philosophie fourmille de « théories de la connaissance ». Mais Nietzsche veut dire que les plus relativistes de ces théories ont encore un fonds de dogmatisme. Elles critiquent la science, mais au nom de la science. Elles comptent établir une vérité scientifique, vraie peut-être seulement du monde accessible à la connaissance, mais absolument vraie de ce monde. Nietzsche croit au contraire qu’on ne peut « reconnaître le problème de la science sur le terrain de la science ». Et qu’adviendrait-il si l’exemple de la vie et de la tragédie grecques nous prouvait qu’on ne peut pas davantage aborder le problème du vrai par les nécessités de la morale ? Il faudrait alors cesser de concevoir la vérité comme un modèle existant en dehors de nous, dont l’esprit aurait seulement à nous donner la fidèle image, ou qui devrait impérieusement gouverner notre conduite morale. Il ne faudrait plus y voir qu’une œuvre à édifier librement par nous, comme les œuvres de l’art. Or, pourquoi la construire, si ce n’est pour embellir et fortifier cette vie collective que nous appelons une civilisation ?

  1. Versuch einer Selbstkritik, 1886, § 2. (W., I, 3.)