Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/313

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repris sans doute, comme le fait l’Intempestive sur Schopenhauer éducateur, les fortes invectives de ses leçons bâloises.

Nietzsche est si convaincu de la gravitation universelle des âmes vers la force, que, dans la dissolution présente de la culture, il n’accuse jamais les masses, mais la seule incapacité des dirigeants. Le malheur de la jeunesse allemande n’est pas d’avoir manqué d’obéissance à ses chefs ; ce sont les chefs qui ont manqué à cette jeunesse. Les étudiants qui ont créé la Burschenschaft en 1817, lui paraissent avoir eu le sens de la culture supérieure véritable. La guerre récente leur avait donné le sentiment des forces tragiques par lesquelles est poussé le monde. Au retour dans la patrie et dans l’Université, ils retrouvaient l’ancien esprit de servitude, de spécialité pédantesque et fermée à la vie. Nietzsche les admire de s’être soulevés et organisés en groupes militants, de tenue belliqueuse et d’austère discipline. L’âme révoltée de Carl Moor, la morale de Kant, la mélodie puissante et patriotique du Chant de la Lyre et de l’Épée de Weber, l’âme de Tacite, voilà ce qui les animait. Ils avaient retrouvé une philosophie, un enthousiasme d’art, et le secret d’une part notable de l’antiquité. À cinquante ans de distance, Nietzsche se croit encore tenu de justifier le meurtre de Kotzebue, comme une protestation tragique contre la philosophie dissolue, la mauvaise littérature et la corruption de l’âme. Il n’a manqué à ce grand soulèvement que son chef naturel, le maître, l’organisateur de cette culture nouvelle, ce Schiller, « usé précocement par la résistance de son siècle obtus » [1]. Nietzsche se croit qualifié pour reprendre l’œuvre abandonnée. Toute sa propagande de 1870 à 1876 est un effort

  1. Ibid. (W., IX, 417.)