Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/316

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Les principes généraux de leur éducation seraient plus fixes. Cette aristocratie intellectuelle serait comme le cerveau de l’organisme social. L’activité informatrice de ces hommes centraliserait tout le savoir présent et le rendrait transformé en action. Chargés d’élever le peuple entier à une vie supérieure, ils assureraient d’abord leur propre et rigoureuse sélection. Ils seraient « l’aréopage de la justice de l’esprit ». Ils fixeraient les valeurs. Ils prêcheraient d’exemple. Dans une civilisation où l’homme est morcelé en spécialités infinies, ils représenteraient l’humanité intégrale, entrevue par les classiques [1]. Inutiles en apparence, placés là comme la parure virile d’une société où la culture serait une dignité, ils en auraient la conduite réelle par une action occulte et par l’efficacité de leur exemple.

Ils apprendraient aux hommes à se considérer comme des œuvres d’art, que l’industrie peut parfaire quand la nature les laisse trop souvent informes. Une ébauche significative suffit à témoigner d’une grande intention. Le lamarckisme de Nietzsche conçoit l’intelligence artiste de l’homme comme destinée à servir non seulement la race, mais la nature [2]. C’est un lamarckisme transposé en platonisme. Cette forme mutilée, sous laquelle apparaît l’homme, préfigure la pure silhouette qui, dégagée de l’argile changeante du devenir, peut revêtir un aspect déternité. L’homme du commun n’est encore qu’une « larve » (eine Insectenlarve), qui peine dans un labeur vorace, obscur et éphémère [3]. Annonçons-lui sa métamorphose prochaine. Il s’épanouira, s’il le veut, dans une forme impérissable, présente en lui virtuellement. Ne

  1. Zukunft unserer Bildungsanstalten, Resultate, posth. (W., IX, 424.)
  2. Schopenhauer als Erzieher, § I. (W., I, 392.) « Bildung ist Vollendung der Natur. »
  3. Schopenhauer als Erzieher, posth., § 86. (W., X, 321.)