Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/332

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une image d’un monde conçu comme dans Héraclite et Empédocle : une harmonie faite d’inimitiés qui s’acharnent, et n’arrivent à l’apaisement que par l’eifort continu où elles se neutralisent [1].

Par divination le musicien apercevait le rythme de la vie diffuse dans l’univers. Il voit comment, dans le remous des forces, un ordre essaie de s’établir par une vie de l’âme. Vie d’une intelligence qui cherche son chemin ; vie de dévouement aussi qui cherche à conjurer la souffrance. Toute la lutte des vivants qui cherchent à durer et à dominer, mais aussi la générosité des sacrifices qui scellent l’union de toute vie. Or, l’artiste est éminemment une intelligence qui « frissonne de comprendre » et affirme l’esprit dans le monde ; et aussi, éminemment, un cœur qui se donne et affirme la fraternité. C’est pourquoi nulle âme ne peut, mieux que la sienne, deviner le rythme des mondes, si ce rythme est intelligence et amour. L’univers n’a pas d’autre secret ; et c’est là la formule que Nietzsche, instruit par Zoellner [2], substitue à la formule schopenhauérienne. Mais Zoellner fournissait l’expression philosophique des vérités qu’on voyait figurées vivantes dans les drames de Richard Wagner.

Au-dessus de la cascade des harmonies se lèvent, en effet, les figures héroïques où s’exprime le sentiment qui chante dans cette musique. En ce sens, Wagner pense par mythes ; et ses mythes prennent des formes visibles. Est-ce assez pour que nous échappions à cette déformation de l’esprit qui ne crée plus que de stériles idées abstraites ? Pour Nietzsche, il peut y avoir une corruption aussi du mythe. [3]. Le folk-lore, le conte de fée,

  1. R. Wagner in Bayreuth, §§ 5 et 9. (W., I, 527, 570.)
  2. V. plus haut, p. 201-203 et La Jeunesse de Nietzsche, p. 318 sq
  3. V. plus haut, p. 204 sq.