Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/348

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se réveillait la farouche irritation du baptisme. Tout le moyen âge oscille par de puissantes alternances entre des mouvements de remords collectif, de macération et les effusions d’un tendre amour mystique. Ce que le bon sens public appelle avec justesse « la nuit du moyen âge », n’est pas la pure superstition ignorante, mais la dévotion funèbre qui, dans la vie de Jésus et des saints, contemplait le martyre et l’acceptation sanglante des tourments plutôt qu’elle ne s’attachait au message de béatitude. La naissance de la civilisation moderne a été empêchée longtemps par cette fuligineuse tristesse des âmes ou par l’éclat brusque des extases qui éclairaient à ce point l’édifice du monde qu’ils en effaçaient tout le contour. Il a fallu une sensibilité assagie et rassérénée pour que, sous la Renaissance, le réel pût reparaître avec la lumière de son vrai ciel, le vrai mouvement de ses astres, la vraie pesanteur de ses masses, et pour que l’intelligence délivrée de son cauchemar de ténèbres ou de son illumination mystique pût observer, dénombrer, décrire, expliquer les faits tels qu’ils lui apparaissaient. Toute la Renaissance est là, dans ce goût nouveau de la forme, de la vie sensuelle et passionnelle, dans cet amour désintéressé des idées. Un temps, le protestantisme la menace, parce que, dans le protestantisme, le sombre esprit de la loi mosaïque a repris le dessus, comme dans la contre-réforme catholique elle-même. Il fallut deux siècles de physique et de mécanique ; trois siècles de peinture italienne, hollandaise, flamande et française ; la venue des libres-penseurs anglais, des encyclopédistes français et anglais, l’Aufklärung allemande, la douce et forte griserie de la musique de Mozart, pour réconcilier les âmes avec le réel.

Une de ces crises du sentiment de la vie dans l’humanité fut celle qui amena, vers le vie siècle avant notre ère,