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religion olympienne a édifié de belles et libres cités, parce qu’elle traduisait une puissante aspiration à l’ordre et à la beauté. Tous les poètes, depuis lors, ont regretté le temps


                               Où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,


« où le voile magique de la poésie, comme disait Schiller, enveloppait de grâce la vérité », tandis que pour nous c’est « un globe de feu sans âme » , qui roule dans l’orbite où Hélios autrefois lançait son char aux chevaux de lumière. Toutefois, notre croyance ne peut rebrousser chemin. Elle ne peut retourner aux images d’autrefois. Le vrai nous paraît plus grand que le beau, et dès lors nous le préférons. Combien pourtant l’intelligence est redevable, pour son épuration, à la religion grecque de la beauté, il suffit, pour ne plus l’oublier, de relire la prière que le plus sceptique enfant du xixe siècle finissant disait un jour sur l’Acropole.

Ces dieux olympiens sont sortis d’une réflexion grecque encore éprise de mystère. Passe encore que Perséphone ait gardé un pathétique secret : car elle est restée la fiancée occulte, vouée aux puissances souterraines. Il subsiste dans son culte la vieille liturgie des divinités de l’Hadès. Mais Pallas même n’avait été d’abord que la divinité protectrice du vieux village de Palléné, où l’on conservait pieusement sa vieille image de bois. Sur le passage de cette image il fallait fermer les yeux, de peur d’être frappé de terribles maladies ; et elle faisait sécher les feuilles des arbres quand on la promenait au dehors. Devenue avant tout l’idéal de la sagesse, du labeur incessant, elle demeure d’une pureté presque terrifiante, et, dans la dévotion presque mystique dont on l’aime, qui dira ce qui reste du mystère attaché à sa forme primitive ?