Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/36

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Dans la force de son émotion d’alors, il exagère beaucoup son mérite, et ses droits de primauté ne sont il pas aussi entiers qu’il le croit. Mais en 1886, très éloigné de son œuvre, il jettera sur elle un regard de justice sévère, et il se glorifiera encore de cette émotion novatrice :


Ce qui parlait ici, c’est une voix étrangère, le disciple d’un dieu encore inconnu… Il y avait là une pensée dont les besoins étaient insolites et n’avaient pas de nom jusque-là ; une mémoire grosse de questions, d’expériences, de secrets, auxquels le nom de Dionysos était seulement attaché comme un point d’interrogation. Ce qui parlait (on se le répétait avec une soupçonneuse inquiétude), c’était comme une âme mystique, une âme presque de Ménade qui, avec peine et pourtant à dessein, et presque indécise si elle devait se lever ou se tapir, balbutiait comme dans un idiome étranger… Oui, qu’est-ce que le dionysisme ? Voilà la question à laquelle ce livre apportait une réponse ; — réponse d’un homme qui savait, d’un initié, d’un disciple de son dieu[1].


Et plus tard, dans l’Ecce Homo :


Les deux principales innovations du livre sont d’abord l’intelligence du phénomène dionysiaque chez les Grecs (et ce livre en donne pour la première fois la psychologie ; il y voit l’une des racines de tout l’art grec). Ensuite l’intelligence du socratisme. Socrate est reconnu pour la première fois comme l’agent de la dissolution grecque, comme le décadent-type[2].


Psychologiquement, cette innovation signifierait une théorie nouvelle des rapports du vouloir et de l’intelligence, et de leur coutact dans l’activité artiste.

Au point de départ, Nietzsche envisage les deux notions d’art que distinguait la tradition des classiques : le beau et le sublime. Il cherche à définir les régions de l’âme où elles se localisent. Ainsi, peu à peu, vont-elles

  1. Versuch einer Selbstkritik, § 3, 4. (W., I, 5, 6.)
  2. Ecce Homo, chap. Die Geburt der Tragödie, § 1. (W., XV, 62.)