Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/374

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frayer sa voie, et éclate parfois en magnifiques corolles, nous enseignant à l’accepter telle quelle, affreuse et belle. Un jour, par une sélection qu’il appartient à l’homme de diriger, la victoire sera assurée, dans la lutte pour la vie, à ce qui mérite de vivre pour la gloire de l’humanité.

3o Alors une troisième philosophie intervenait, déjà sûre presque de vaincre : la philosophie de la personnalité. On ne la quitte jamais, même quand on se croit loin d’elle. Elle reste auprès de nous dans nos pires infidélités. L’intellectualisme projette de si bien comprendre le monde, que « la pensée ne serait plus dans le monde et un accident du monde ; le monde serait dans la pensée »[1]. Mais que serait tout le déterminisme, même intelligible sans un esprit qui, par sa libre réflexion, crée lui-même la chaîne d’intelligibilité qui relie les faits à la fois dans le réel extérieur et dans la conscience ? Le naturalisme empiriste projette de si bien observer le monde, sans y intervenir, qu’il ne laisserait rien échapper de la vie. Mais que serait pour nous une vie qui n’entrerait pas pour une part dans une conscience, de telle sorte qu’elle y apparaîtrait non seulement spontanée, mais créatrice avec réflexion, c’est-à-dire libre ? Et alors, comme il faut bien que la conscience, pour apparaître, existe déjà virtuellement dans l’organisme, comment ne pas admettre une conscience en germe dans la moindre cellule vivante et jusque dans l’atome réputé inerte ?

Or, si des cellules d’un vivant déversent, pour ainsi dire, leur contenu de conscience dans une pensée centrale qui les dirige, ne faut-il pas, comme les romantiques allemands et les sociologues d’aujourd’hui, leurs disciples, faire un pas de plus ? Les consciences des hommes ne

  1. O. Hamelin, Les éléments principaux de la représentation, p. 354.