Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/376

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même ; et il ne se consolerait pas de comprendre par elle l’univers, si sa volonté devait s’agenouiller devant cette loi destructrice de toute personnalité. Il aime le naturalisme pour son vigoureux sentiment de la vie, pour son froid courage novateur. Il le redoute socialement, pour sa force dissolvante, et parce qu’en déchaînant les instincts fauves, le naturalisme crée dans l’art l’irrémédiable désordre, et que, dans la civilisation, il soumet l’élite à la tyrannie des multitudes. Nietzsche enfin est attaché de toute son âme à la philosophie de la personnalité, pour la grande tradition d’art et de culture qu’elle interprète. Mais il la hait pour ce mythe du Dieu personnel qui crée autour de lui comme une cité transcendante d’ombres, où ne pourra jamais s’acclimater l’existence terrestre des hommes. Les métaphysiques anciennes disputaient sur ce qui reste de notre liberté, soit que nous fussions en Dieu, soit que Dieu fût en nous, soit enfin qu’il nous menât du dehors par une loi qui nous reliait à lui. La vérité est qu’il n’y a plus de personnalité humaine, dès qu’il y a une personnalité divine.

Nietzsche a donc éliminé de l’intellectualisme ses conséquences déterministes. Il a éliminé du naturalisme ses conséquences sociales. Il a éliminé de la philosophie de la personnalité ses conséquences religieuses. Il faut que meure l’ancien Dieu pour que reste intacte en l’homme la faculté de créer des dieux nouveaux, c’est-à-dire des images immortelles qui transformeront l’humanité[1].

  1. V. chez O. Hamelin, Les éléments principaux de la représentation, p. 457, une attitude analogue pour des raisons intellectualistes : « Même en Dieu la raison ne saurait s’expliquer par un acte arbitraire de la volonté. Par conséquent, en tout ce qui est nécessité, la science et la philosophie doivent pousser leurs investigations absolument comme s’il n’y avait pas de Dieu. »