Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/380

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chair. Il a un aspect intérieur où, s’il reste en foule des recoins obscurs, notre conscience plonge cependant pour une part. Car chacune de ses cellules organiques, chacun de ses atomes inorganiques élabore déjà de la conscience élémentaire. Elles la déversent (par quel mystère ?) dans cette conscience centrale, où naît le moi ; et c’est de tous ces apports de notre sang, de toutes les ondes qui courent le long des filets nerveux, que sont faits, au bout du compte, l’héroïsme, la pensée, le génie.

Ainsi Nietzsche apprend, dès 1873, à vénérer la sagesse profonde de notre corps, et qui éclôt de ses plus humbles cellules. Or, si elle éclôt de nous, c’est que peut-être l’univers ne la contenait pas. Il n’y a donc pas de vouloir unique, de commune mémoire, d’imagination collective de l’univers. Si la seule raison d’admettre ces grands êtres mythiques était de rendre possible le génie, cette raison s’évanouit. La volonté, l’intelligence, l’imagination n’existent que dans les individus. Une longue évolution les a mûries. Des énergies emmagasinées durant des siècles, conservées pures par de mystérieuses grâces, éclatent en soudaines floraisons de miraculeuse humanité. Il n’est pas nécessaire qu’elles aient été tirées toutes vives d’un abîme mystique où dorment les idées pures, et où un Faust métaphysicien peut descendre par aventure, si Méphistophélès-Schopenhauer lui en ouvre l’accès. C’est tout près de nous, c’est en nous que se passe le miracle. Mais alors, pour expliquer la civilisation, c’est-à-dire la croissance des personnalités, il faut passer du personnalisme à la philosophie naturaliste.

À ce changement libérateur, Nietzsche fait un profit surérogatoire. Il veut sortir du pessimisme. Il se trouve qu’un savant physicien, Zoellner, a démontré que les systèmes de force mécanique se comportent comme s’ils