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CHAPITRE II

LA RENAISSANCE DE LA TRAGÉDIE
OU LE DRAME WAGNÉRIEN



Dès sa première philosophie, Nietzsche conçoit l’art comme un effort de l’humanité pour mieux s’adapter à l’existence dangereuse que lui fait l’univers. La révélation dionysiaque, le sens tragique des choses vient aux hommes du contact avec l’effroyable réalité. La transformation apollinienne, que nous en faisons, est une méthode d’illusion qui nous console et nous aide à vivre au milieu de cette réalité sanglante. Il y a péril de mort, pour une civilisation, à n’avoir pas ce sens profond du réel et à ignorer la consolation unique par laquelle un peuple peut garder son courage intact, une fois qu’il a vu de près la face tragique de l’univers. Comment parer à ce danger ?

Nietzsche ne croit pas que le pressentiment dionysiaque de la douleur universelle puisse jamais se perdre. Toutefois, il peut rester latent. Il n’éclate en floraisons d’art qu’une fois en dix siècles. La grande vérité que Nietzsche annonce, c’est que la tragédie de Richard Wagner est une telle Renaissance de l’œuvre d’art tragique, où se reconnaît le symptôme d’une régénération des âmes. Ce fut la conclusion de son livre sur la Naissance de la Tragédie. Il la reprendra encore dans sa IVe Intempestive sur Richard Wagner à Bayreuth. Avec quelles réserves secrètes et