Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous révèlent, c’est la destinée de toute vie. Et nous voyons se faire et se défaire sous nos yeux, comme une trame, l’existence des hommes. Comment serait-ce possible, si ce n’est en des formes d’une généralité humaine intelligible à tous, tracées par une imagination aussi universelle que le vouloir qu’elles traduisent ?

La vision intérieure qui se lève de cet abîme douloureux et mouvant, la révélation musicale, doit couvrir toute cette large surface imagée. La mythologie seule fournit ces images immenses. Seule elle extériorise l’âme collective du peuple. Elle est l’image que se fait un peuple de lui-même, quand il s’aperçoit sous un aspect d’éternité. Seule elle dit des vérités indépendantes du siècle, dans une langue que n’a pas corrompue le procédé analytique de la conscience claire[1]. Seule elle conte l’éternel récit du héros en butte à d’infinies souffrances, et qui périt, après une vie de luttes forcenées, parce que le lot de tout héroïsme est, disait Schopenhauer, de gaspiller glorieusement une grande âme. Est-ce là une consolation ? C’en est une, comme la dissonance en musique a encore sa douceur. La destinée tragique de tous les êtres peut être accompagnée de volupté, s’il apparaît que la vie qui se joue de nous tous, n’a pas de plus funèbre et de magnifique éclat que dans les feux que jettent les plus hauts d’entre nous à l’heure de mourir.

Le peuple allemand dispose-t-il d’une mythologie remplie de cette inspiration héroïque ? Autant demander s’il est musicien. Car un peuple musicien invente ou retrouve les mythes qui attestent sa prédestination.


Que nul ne croie que l’esprit allemand a perdu à jamais sa patrie mythique, alors qu’il perçoit si distinctement les voix des oiseaux.

  1. Geburt der Tragödie, S 23, 24. (W., I, 163, 167.)