Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/79

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qui lui content le récit de cette contrée natale. Un jour il se réveillera dans toute la robustesse matinale qui suivra son long sommeil : alors il tuera des dragons, il anéantira les nains astucieux, il éveillera Brunhilde… et le javelot de Wotan lui-même ne pourra lui barrer la route[1].


Si le mythe garantit seul une civilisation autochtone, parce qu’il y a un lien entre le mythe et la coutume, entre le peuple et l’art, entre la forme de la tragédie et la forme de l’État, on peut assurer qu’une civilisation germanique, épurée de tout ce qu’elle contenait de latin, naîtra du mythe ressuscité et enfin compris, que nous offre la tragédie wagnérienne.

3o L’auditoire artiste. — Toutes ces métamorphoses seraient vaines, si elles ne trouvaient un esprit public lui-même régénéré. La musique fait toujours appel à un esprit purifié. Ce fut le sens des pastorales musicales et des affabulations héroïques par où avait commencé l’opéra italien et français. Elles marquent un retour aux sentiments de la nature, un sentiment plus noble de la grandeur et de la petitesse humaine. Une satisfaction de pureté, une compassion nouvelle pour la destinée des hommes, accompagnent de leur émotion le premier drame musical. Le drame wagnérien recueille cette émotion et l’exalte jusqu’à sa limite. Il pousse à bout la pensée latine[2]. Il éveille en nous à la fois le pathétique qui vient d’un sublime sacrifice, et l’attendrissement qui nous saisit devant l’état de nature restauré. La musique wagnérienne nous enseigne que le fond des choses est vouloir mouvant, cruel, puissant et voluptueux, et quiconque s’y

  1. Geburt der Tragödie, § 24. (W., I, 170.)
  2. Geburt, posth., § 186 (W., IX, 254). C’est la vérité même. Nietzsche, après l’avoir aperçue, l’efface pour complaire à la teutomanie momentanée de Wagner. Nous rétablissons ici sa pensée vivante et sincère.