Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/80

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plonge est reporté comme à l’aube primitive des choses, et en arrière de leur naissance. Le mythe enseigne que les hommes sont meilleurs que cette vorace et monstrueuse nature. Certes, ils tombent dans l’embûche que leur prépare l’astuce des forces naturelles ; mais, à force d’héroïsme pur, ils réparent leur erreur, et montrent qu’ils descendent d’une façon imméritée dans la perdition. L’idylle héroïque est restituée par l’affabulation imagée qui recueille un contenu pathétique dans une forme belle ; et ce qu’il y a d’émotion encore trop morale et intellectualisée dans ce spectacle se transfigure en pure contemplation par la musique.

Alors, c’en est fait du spectateur moralisant et vulgaire, mais aussi de la critique dissolvante, du caprice blasé des classes riches. La tragédie de Wagner ne se conçoit que dans l’extase. Nous ne pouvons plus raisonner, puisque la tragédie parle par images fulgurantes et non par idées générales. L’idée de la destinée tragique promise à tous les vivants ne nous est plus enseignée dans des dialogues subtils guidés par un raisonnement socratique ou français : elle, surgit dans un mythe, c’est-à-dire dans un abrégé dépensées où sont enfermées, comme en bouton, les formes de pensée qui s’épanouiront plus tard à la conscience raisonnante. Ce que nous voyons, c’est un raccourci, miraculeux d’aspect, mais qui contient, sous le symbole du miracle, les faits éternels que la raison retrouvera.

La musique aussi est un enseignement vivant et symbolique. Dans le torrent mélodieux qui passe, se font et défont incessamment les constructions rythmiques. Un reste de sentimentalité pleure dans l’accompagnement harmonique, qui enveloppe l’éclosion et la chute des rythmes. Si un rayon de réflexion moralisante plonge jusqu’à ces profondeurs, c’est pour faire apparaître comme